Plus de 600 événements ont été organisés mardi 4 octobre, à l’occasion de la « Nuit du droit ». Au tribunal de commerce de Paris s’est tenue une soirée avec différentes tables rondes autour des nouvelles dynamiques du droit.
La « Nuit du droit » s’est déroulée, cette année, le jour de l’anniversaire de la Constitution de la Ve République, promulguée le 4 octobre 1958. Au tribunal de commerce de Paris, après une allocution de bienvenue du président du tribunal de commerce de Paris, Paul-Louis Netter, et du président de Paris Place de Droit, Frank Gentin, se sont tenus deux rounds de trois tables rondes. Climat, directive insolvabilité, numérique, attractivité, justice économique ou encore justice commerciale, le thème était centré autour des nouvelles dynamiques du droit. Pour l’occasion, plus de 500 participants ont pu échanger et débattre avec des experts du domaine.
L’extraterritorialité du droit
Un des sujets phare de la soirée a été « l’extraterritorialité du droit ». En effet, avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, le droit international se retrouve au centre de la table. Pour évoquer ce thème, étaient invités Antoine Denis-Bertin, avocat chez Simon Associés, Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE, Raphaël Gauvain, avocat, Mathias Audit, professeur de droit à la Sorbonne, Thomas Baudesson, avocat chez Clifford Chance, Emmanuelle Butaud-Stubbs, secrétaire générale chez ICC France et Thomas Clay, vice-président de Paris Place d’Arbitrage.
Pour lancer cette table ronde, Mathias Audit a défini le terme d’extraterritorialité du droit. « Nous pouvons dire qu’une règle de droit émise par un Etat, est extraterritoriale ou d’application extraterritoriale, lorsqu’elle prétend s’appliquer à des comportements ou à des personnes qui ne présentent qu’un lien ténu avec son territoire d’origine. Finalement cela veut dire que cette règle de droit va s’appliquer à des liens capitalistiques par exemple, entre des sociétés étrangères et des sociétés locales, ou encore lorsque nous utilisons une monnaie particulière dans le cadre d’une transaction ».
Une origine américaine
L’origine de l’extraterritorialité vient du droit américain qui la pratique sur une base assez générale en matière de lutte contre la corruption d’agents publics étrangers, de sanctions d’embargo ou secondaires et qui s’appliquent aux non-américains, mais aussi au niveau du droit financier. « Il y a une tendance indéniable dans le droit américain de l’entendre s’appliquer à des personnes en dehors de leur territoire. L’extraterritorialité américaine répond à deux motifs, tout d’abord, si une entreprise étrangère bénéficie de leur marché, alors elle doit également respecter leurs règles. Ensuite, sur les marchés internationaux, les entreprises américaines ne doivent pas être en position de désavantage concurrentiel, d’où l’idée de soumettre les entreprises non-américaines aux mêmes contraintes ».
L’extraterritorialité est devenue mondiale
Aujourd’hui, l’extraterritorialité s’est exportée, d’autres pays la pratiquent comme la Chine ou le Royaume-Uni. « Dans une certaine mesure la France aussi, avec la loi Sapin 2 qui a une portée extraterritoriale, même si elle n’a jamais été sérieusement mise en œuvre », a déclaré Mathias Audit. Il a également ajouté que le « Règlement général sur la protection des données (RGPD), issu du droit européen, peut s’ajouter à l’extraterritorialité ». Ce développement de l’extraterritorialité a amené des réactions à cette pratique et des lois de blocage ont commencé à voir le jour, notamment dans le règlement européen de 1996 qui tend à bloquer des effets sur le territoire européen des sanctions décidées par les autorités américaines.
La guerre, un virage pour l’extraterritorialité
« L’actualité de l’extraterritorialité lui confère un jour nouveau avec les sanctions contre la Russie et la Biélorussie qui redessinent ses stratégies d’usage », a déclaré le professeur de droit à la Sorbonne. « Aujourd’hui, une entreprise européenne qui respecte les sanctions européennes, respecte aussi, dans un sens, les sanctions américaines. Du coup, il n’y a plus ce risque de sanctions secondaires à l’égard des entités européennes ». Ce dernier a ensuite affirmé que « l’extraterritorialité américaine avait disparu pour les entreprises européennes », mais qu’elle était « en train d’apparaître pour les Etats tiers » prenant l’exemple des menaces des Etats-Unis contre les banques turques qui utilisaient un système de paiement russe.
La cible de l’extraterritorialité américaine semble avoir changé et c’est une bonne nouvelle pour Mathias Audit : « Cela sert dans une certaine mesure les intérêts européens, et c’est donc une modification du paradigme de l’extraterritorialité. Nous avons aujourd’hui avec les Etats-Unis, une cible commune ». A la suite des référendums en Russie, de nouvelles sanctions sont envisagées par l’Union européen qui « laisse à penser qu’elles pourraient également avoir un effet extraterritorial ».
Pour Raphaël Gauvain, « il y a une véritable prise de conscience de l’importance de cette « arme » qui est l’extraterritorialité de la part de l’Europe. Mais il faut aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin, et aussi développer en profondeur une réforme sur la loi de blocage pour mieux protéger nos entreprises et mieux se défendre à l’international ». L’extraterritorialité semble donc avoir de beaux jours devant elle, en se répandant et en touchant des nouvelles bases et systèmes juridiques.