Retour sur la conférence du 13 décembre 2017 organisée par Paris Place de Droit
Organisée sous la présidence de Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux
Le 13 décembre dernier, la Première Chambre de la Cour d’Appel de Paris accueillait une conférence organisée par l’association Paris Place de Droit, visant à promouvoir la mise en place d’une juridiction commerciale internationale dans notre capitale.
Le contexte nouveau du Brexit, qui remet en question l’accès du Royaume-Uni à l’espace judiciaire européen, offre à la France une opportunité sans précédent d’attraire en son sein le contentieux international qui lui échappait jusqu’alors. En effet, privées du bénéfice des règlements européens assurant l’exécution d’une décision nationale dans l’ensemble des Etats membres, les décisions britanniques perdront sans aucun doute de leur attrait.
Rarement soulignée, une place de droit attractive emporte pourtant des retombées économiques substantielles. L’Observatoire des Acteurs Économiques du Marché du Droit sous l’égide du Professeur Bruno Deffains, estime ainsi que la filière du droit en Royaume-Uni a contribué économiquement à hauteur de 31,1 milliards d’euros sur l’année 2017 , soit presque autant que l’activité agricole nationale. Ce poids est à relativiser lorsque l’on sait que la même année au Royaume-Uni, le seul contentieux commercial a contribué pour environ 25 milliards d’euros. Il existe donc un besoin pressant de faire de Paris une place de droit compétitive et capable de rivaliser avec ses voisins, d’autant plus que Francfort, Bruxelles et Amsterdam ont eux aussi récemment créés des juridictions internationales et anglophones.
C’est à cet fin que le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP), sous la direction de son président Guy Canivet, a été mandaté en début d’année par le ministère de la justice afin d’étudier l’attractivité des juridictions parisiennes et livrer ses préconisations pour attirer un plus grand nombre de contentieux commerciaux internationaux.
Le rapport rendu au Garde des Sceaux rend compte d’un certain nombre de problématiques portant essentiellement sur l’organisation de la procédure et insiste tout particulièrement sur deux points :
- le recours à la langue anglaise aux différents stades de la procédure, de l’introduction de l’instance à la décision rendue
- l’adaptation de la procédure afin de faciliter l’administration de la preuve, de son admission à son examen par les juges, en favorisant la preuve testimoniale.
Il s’agira en définitive de persuader les opérateurs économiques français, européens et internationaux de recourir, sinon au droit français, aux juridictions spécialisées françaises, et cela ne pourra advenir qu’en prouvant la souplesse, le professionnalisme et la solidité de l’offre de justice fournie à Paris.
Forts de ces recommandations et du soutien de nombreux professionnels du droit, deux projets de protocoles visant à organiser les modalités de fonctionnement tant de la chambre internationale du Tribunal de commerce de Paris en place, que celle de la chambre internationale de la Cour d’appel de Paris à venir – que sa Première présidente Madame Chantal Arens est sur le point de mettre en place – devraient recevoir la signature de la Garde des Sceaux.
Ceux-ci prévoient notamment :
- la possibilité pour le juge de fixer un calendrier de procédure impératif
- la possibilité de produire des pièces en langue anglaise sans traduction, de même que la possibilité pour les parties, tiers ou experts d’être entendus en anglais
- l’accompagnement du jugement par une traduction jurée en langue anglaise.
Bien que facilitant l’usage de l’anglais devant ces juridictions spécialisées, ces protocoles doivent prendre en compte les exigences posées par l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui impose que les actes et exploits de justice soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en français. Cependant, comme le souligne Madame Chantal Arens, « il nous faut un monde économique qui ne soit pas français. La Cour d’Appel de Paris l’a intégré et le gouvernement souhaite en faire un événement national ».
* * *Les acteurs de la vie économique juridique suivent avec enthousiasme la mise en place de ce projet, tout à fait nécessaire selon eux, mais souhaiteraient aller plus loin.
Jean-François Guillemin (Secrétaire Général du groupe Bouygues) soulignait ainsi qu’en tout état de cause l’expression du juge étatique est nécessaire, et que les modes alternatifs de règlement des conflits tels que l’arbitrage et la médiation, bien qu’en vogue, ne sauraient se suffire à eux-mêmes et devenir la norme. La future Chambre Internationale devrait alors établir une jurisprudence plus « business », ou tournée vers la « religion du contrat » comme l’apprécient particulièrement les juristes anglophones.
En pratique, ces grands professionnels relèvent différents obstacles pouvant menacer l’effectivité du projet, qu’il conviendrait selon eux de désamorcer en amont.
La première difficulté réside dans l’ordonnance de Villiers-Coterêts. Nicolas Brooke (Directeur des contentieux de la Société Générale) estime impératif de trouver un moyen de contourner celle-ci afin d’établir une réelle procédure en langue anglaise. Il recommande ainsi le recours à des magistrats formés à l’étranger, de langue maternelle anglaise, et capables de juger sur un mode anglais : en favorisant le contradictoire, en mettant en avant la preuve testimoniale et en s’inspirant de la procédure de discovery sans tomber dans les travers de celles-ci, que sont son coût élevé et sa longue durée.
Pour Aurélien Hamelle (Directeur juridique du groupe Total), un autre problème majeur se trouve dans la promotion de nos juridictions, car convaincre un partenaire étranger de choisir Paris pour trancher d’un éventuel litige est délicat en pratique : à défaut de jouer à domicile, les contractants préfèrent un terrain neutre ou réputé comme tel. Pour y rémedier, et faire de Paris une place effective du droit, il suggère que la justice fasse son propre marketing, gage de neutralité, et que cela se fasse en dehors de ses opérateurs.
Ce défaut de visibilité a, dans une certaine mesure, touché la Chambre Internationale du Tribunal de Commerce de Paris, pourtant créée en 1995 et présentant un taux d’appel exceptionnellement bas qui en démontre son efficacité. Alliant une procédure à faibles coûts et dont certains pans sont déjà ouverts à la langue anglaise, cette chambre internationale a connu un grand nombre de litiges mais souhaiterait en connaître davantage. Son Président, Jean Messinesi, souligne que l’échevinage caractéristique du Tribunal en a fait sa force, par la qualité de ses juges en tant que juristes mais aussi en tant que praticiens économiques. Il reste désormais à convaincre les grandes entreprises de solliciter davantage les chambres internationales parisiennes.
Julien Lallemand
Hadrien Jolivet
Lucile Vasse